
La visite de la Cour pénale internationale (CPI) à Nouakchott, officiellement qualifiée de mission de coopération judiciaire, revêt des dimensions bien plus complexes qu’un simple échange institutionnel.
Conduite par le magistrat Haykel Ben Mahfoudh, représentant la présidente de la Cour, la délégation a rencontré le ministre de la Justice, Mohamed Ould Sweidatt, pour discuter du renforcement de la collaboration entre la Mauritanie et l’institution internationale. Mais au-delà de la neutralité protocolaire du communiqué officiel, le calendrier et le contexte de cette visite en disent long sur les tensions persistantes autour du passif humanitaire.
Plus de trente ans après les événements de 1989–1991 — disparitions forcées, exactions, déportations et violences ciblées — le dossier reste un sujet sensible. Les critiques se concentrent sur quatre axes majeurs : l’absence de justice ayant établi clairement les responsabilités, une vérité toujours partielle, un devoir de mémoire jugé insuffisant et des réparations considérées comme incomplètes ou inégales.
Pour une partie de la société civile et des familles de victimes, ce constat traduit l’échec d’un règlement véritablement transparent et équitable. Dans ce contexte, la CPI apparaît moins comme un acteur direct du dossier que comme un observateur symbolique, dont la présence relance, même indirectement, la question de la responsabilité et de la mémoire nationale.
Les dessous de cette visite se lisent dans ce que le protocole ne dit pas. Aucun lien officiel n’a été établi entre la mission et le passif humanitaire, mais le timing stratégique ne peut être ignoré. La venue d’une institution internationale spécialisée dans les crimes graves coïncide avec la résurgence du débat public et des revendications de justice, ce qui confère à cette présence une résonance politique et morale immédiate.
Elle met en lumière le contraste entre le discours officiel sur le dossier — présenté comme clos — et la réalité d’une société toujours en attente de réponses. La CPI, par sa seule présence, rappelle les standards internationaux en matière de droits humains, de transparence et de responsabilité, et souligne implicitement que les questions non réglées peuvent continuer de peser lourdement sur la crédibilité des institutions nationales.
L’analyse de ce déplacement montre également que la visite agit comme un signal indirect : elle met en évidence la fragilité de la réconciliation nationale et le poids des mémoires collectives non apaisées.
Les autorités mauritaniennes, même si elles restent dans le cadre strictement institutionnel, sont confrontées à l’implicite d’une attente internationale : la société civile, les familles de victimes et les observateurs voient dans cette visite un rappel que les vérités inachevées finissent toujours par refaire surface.
En somme, derrière l’apparence protocolaire, cette visite de la CPI n’est pas neutre. Elle éclaire les limites du traitement historique du passif humanitaire, souligne l’importance d’une justice perçue comme crédible et agit comme un révélateur des tensions persistantes entre mémoire, vérité et réconciliation.
Dans ce contexte, la présence de la CPI devient un catalyseur symbolique, rappelant que la Mauritanie doit encore affronter certaines pages de son histoire si elle veut clore durablement ce chapitre et restaurer pleinement la confiance entre l’État et les citoyens.
LE RÉNOVATEUR QUOTIDIEN