Affaire Ibrahima Bâ, pourquoi je ne suis pas convaincu de la version de la DGSN

Affaire Ibrahima Bâ, pourquoi je ne suis pas convaincu de la version de la DGSN

IBRAHIM BA

Le 22 septembre 2025, la Direction générale de la sécurité nationale (DGSN) publie dans la presse un communiqué adressé à l’opinion nationale portant sur l’affaire du jeune Ibrahima Bâ, arrêté par la police la nuit du 19 septembre puis envoyé dans un centre de détention pour migrants.

Ce que la DGSN a dit

Le communiqué de la DGNS commence d’abord par qualifier d’allégation l’information sur cet incident, largement relayé dans les médias et les réseaux sociaux, annonçant le démenti qui allait suivre dans le communiqué.

La police affirme avoir ouvert une enquête interne sur les faits, afin de les vérifier, d’établir les responsabilités, et le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires.

Les résultats de l’enquête auraient ainsi permis d’établir les faits sur la base des témoignages recueillis auprès des agents de la patrouille qui ont arrêté Ibrahima Bâ, du concerné lui-même, son parent qui l’a aidé à sortir du centre de rétention et d’une troisième personne qui l’accompagnait.

Ainsi selon l’enquête, Ibrahima Bâ est interpellé le vendredi 19 septembre 2025 par une patrouille près de l’ambassade de France à Nouakchott qui a jugé ses mouvements de suspects.

Il n’avait sur lui aucun papier d’identité, pas de téléphone et est resté silencieux durant son arrestation, selon le communiqué. Il a été donc conduit au commissariat pour identification, et par hasard, le système d’identification était en panne et il a fallu le transférer dans une autre installation équipée pour les vérifications nécessaires. Donc, on l’amène d’un premier système en panne pour l’amener dans un autre système d’identification, toujours sans parvenir à savoir qui il est.

Pendant tout ce temps, Ibrahima Bâ si bavard dans le témoignage qu’il a publié par la suite, ou qu’il a fait publier, était resté silencieux, aucune volonté de communiquer, présentant même une « condition psychologique particulière » tout comme pour dire qu’il avait un comportement anormal.

Le communiqué dé poursuivre, qu’un de ses proches est arrivé « spontanément » et a confirmé son identité, l’amenant avec lui sans obstacle.

La DGSN soutient par la suite qu’Ibrahima Bâ n’était pas l’auteur du témoignage publié, mais que c’est un tiers qui a rédigé l’écrit, sans que l’identité de cette personne n’ait été divulguée.

Le communiqué indique que l’article en question contient des accusations graves et non fondées, notamment la « prétendue demande d’argent de la part des policiers » que le parent de M. Bâ a même rejeté.

S’en est suivi une longue liste de récriminations, où la DGSN dit condamner la désinformation qui a accompagné l’affaire, l’abus d’identité, la manipulation d’un « incident mineur » pour discréditer les forces de sécurité et troubler l’opinion publique, s’attaquant aussi aux faux témoignages, etc.

Enfin, la DGSN affirme que la police nationale est là pour protéger les droits de tous les citoyens, qu’elle applique les règlements, et qu’elle promeut l’utilisation responsable et éthique des médias.

Le témoignage de Ibrahim Bâ

Le témoignage publié le 21 septembre 2025 sur Cridem, commence par « Je m’appelle Ibrahima Bâ (…) né le 9 novembre 1992 à Nouakchott ». Cela c’est l’introduction d’une personne qui signe et déclare son propre témoignage écrit de sa propre plume, et non un témoignage écrit en son nom par une tierce personne, sauf si c’est lui qui lui a délégué le pouvoir d’écrire en son propre nom. Il est difficile dans ce cadre de croire à une usurpation d’identité, car les faits relayés dans le communiqué de la DGSN confirment leur réalité.

Puis, dans ce témoignage, Ibrahima Bâ ou son prête-plume, aligne le nom de ses parents, grands-parents, oncles, une longue lignée d’anciens ministre, ambassadeurs, « une lignée qui a servi ce pays » dit-il.

Il déclare qu’au moment où il faisait sa marche quotidienne (interprétée par la police comme des mouvements suspects) près de l’ambassade de France ce vendredi 19 septembre 2025, il est « arrêté dans une rafle au faciès ». Il confirme qu’il n’avait pas de papier sur lui, et il dit avoir cru aux policiers qui lui ont dit qu’ils allaient l’amener pour « une vérification rapide » et de souligner qu’il a eu tort.

Ibrahima Bâ affirme avoir été jeté dans un cachot, entassé avec d’autres hommes. Il décrit l’atmosphère, la chaleur, ses empreintes qui sont prélevés, son nom qui fut gravé dans un registre, sans que personne ne s’intéresse à son histoire.

Il parla ensuite de son transfert en pleine nuit dans un centre de rétention pour migrants, « murs crasseux, odeurs de sueur et d’urine, silhouettes épuisées qui erraient sans espoir » décrit-il. Il dit n’avoir survécu que grâce à la générosité des autres détenus. On lui aurait refusé de prendre ses médicaments, on lui refusa aussi de téléphoner à sa famille.

Il a parlé aussi de la battue organisée par ses parents inquiets de son absence, de sa mère diabétique, de ses sœurs, oncles, cousins, amis, désemparées, de son vieux grand-père Bâ Mamadou Alassane, ancien ministre et chef de parti politique, la ronde dans les commissariats, les ruelles de Nouakchott, la plage.

Il donna une image apocalyptique de son incarcération, « je sentais la fièvre monter, la panique m’étreindre. Puis, la délivrance au matin, ses empreintes qui confirmèrent sa nationalité mauritanienne, puis il lâche « on exigea de l’argent pour me rendre ma liberté » et c’est son oncle « alerté, déterminé, qui parvint à me retrouver devant la porte du centre et à négocier ma libération » a-t-il témoigné. Et une terrible accusation, « ils durent me racheter comme on rachète une vie ».

En conclusion, Ibrahim Bâ souligne : « ce que j’ai vécu dépasse l’humiliation personnelle : c’est une blessure portée au corps même de notre nation. Si, né à Nouakchott, fils et petit-fils de serviteurs de la République, malade et fragile, j’ai pu être arrêté, privé de soin, rendu invisible aux miens, alors que deviennent ceux qui n’ont ni nom connu ni relais ? La réponse est une honte que nous devons nommer et combattre ».

Le tsunami médiatique

L’affaire d’Ibrahim Bâ va créer un véritable tsunami médiatique. La presse et les réseaux sociaux s’en emparent. Une houle d’indignations et de condamnations secoue la République. L’équivalent d’une foule telle que celle qui a suivi le meurtre de Souvi Ould Chein au commissariat de Dar Naïm le 9 février 2023, sauf que cette fois la foule est virtuelle, mais sa colère soulève des millions de consciences. Toutes les communautés mauritaniennes se sont élevées pour dénoncer les abus dont a été victime Ibrahim Bâ, clouant la police et les forces de l’ordre au pilori. La pression populaire, répercutée au-delà des frontières, va ainsi obliger les autorités à réagir.

Le Directeur de cabinet du président Ghazouani, Nani Ould Chrougha, est dépêché auprès de la famille de Ibrahim Bâ, certainement pour exprimer des regrets et promettre de faire toute la lumière sur cette affaire. L’enquête interne menée par la DGSN était ainsi sensée apporter des réponses aux multiples équations de cette bavure policière.

L’affaire a été probablement jugée de trop grave aux plus hauts échelons de la République pour entraîner une telle réaction, car intervenant dans un contexte marqué par le dernier rapport pas si luisant du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les droits des migrants en Mauritanie et l’ampleur que cette affaire pouvait porter à l’image du pays.

La DGSN a souvent protégé ses agents

La DGSN a souvent protégé ou essayé de protéger ses agents. Dans les rares cas où elle a été obligée de défendre ses agents face à des accusations, elle a toujours fait publier des communiqués de démenti.

Dans la philosophie de la DGSN, il parait encré l’idée que poursuivre un agent pour délit ou crime porte atteinte directement à son image ou à celle du pays, oubliant que poursuivre des policiers dans des faits avérés rehaussent au contraire son image et celui du pays. Il lui fait gagner la confiance de sa population et celle de ses partenaires. Agir dans le sens contraire, brise cette confiance.

L’adage dit : « menteur une fois, menteur toujours ». Or, le communiqué publié par la DGSN au lendemain de l’assassinat de Souvi Ould Chein le 9 février 2023 a complètement rompu la confiance que l’opinion publique mauritanienne avait à son égard.

En effet dans le communiqué qu’elle a publié après la mort de Souvi Ould Chein, la DGSN avait déclaré que le défunt est décédé durant son transport vers l’hôpital Cheikh Zayed pour des soins suite à un subite malaise médical après son arrestation au commissariat de police de Dar Naïm 2.

https://www.nouadhiboutoday.info/node/8580).

Une thèse qu’a voulu défendre la première autopsie. Mais devant la pression populaire qui ne se satisfaisait pas de cette conclusion, une deuxième autopsie a été pratiquée prouvant que Souvi Ould Chein avait succombé à de mauvais traitements lors de sa détention. Le rapport d’autopsie qui a été rendu public, a constaté qu’une asphyxie traumatique par strangulation avait certainement provoqué la mort, en plus de fractures du cartilage thyroïde et de l’os hyoïde, sans compter d’autres signes de mauvais traitements comme des ecchymoses et des égratignures. C’est ce que l’enquête du Commissariat aux droits de l’Homme a confirmé plus tard.

Les forces de l’ordre mauritaniennes, à l’instar de plusieurs autres à travers le monde, sont souvent accusées de bévues et d’abus de pouvoir. Elles ont tiré à balles réelles contre des manifestants et tué des personnes, entraînant rarement des enquêtes.

C’est le cas de la mort du jeune Lamine Mangane, tué à l’âge de 16 ans lors d’une manifestation à Maghama le 27 septembre 2011. Sa famille réclame toujours une enquête pour déterminer les circonstances de sa mort, sans succès. Son avocat, Me Fatimata Mbaye bute toujours sur l’impénétrable mur de la justice.

C’est aussi le cas du jeune Mohamed Lemine Ould Samba, tué le 30 mai 2023 à Boghé par un policier lors d’une manifestation. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine avait promis l’ouverture d’une enquête sur sa mort. Plus de deux ans après, sa famille court toujours pour obtenir justice. Là où plusieurs témoins avaient affirmé que le jeune a été tué à bout portant lors de la manifestation, la police sort dans ses justificatifs que le jeune avait tenté de s’attaquer au commissariat.

Un jour plus tôt, le 29 mai 2023, Omar Diop, 38 ans, originaire de MBagne, mourrait au commissariat de Sebkha, selon certaines versions. Tandis qu’une grande partie de l’opinion, leaders de l’opposition, journalistes, avocats et activistes de la société civile, parle d’actes de tortures ayant entraîné sa mort, la police soutient que le défunt a été arrêté, drogué, suite à une bagarre, qu’il souffrait de problèmes respiratoires et qu’il est décédé à l’hôpital.

https://aidara.mondoblog.org/2023/05/31/mort-de-oumar-diop-radioscopie-dune-explosion-de-colere-en-mauritanie/

Dans cette affaire, l’autopsie réalisée au Maroc a parlé d’une mort par arrêt cardiaque suite à une consommation d’alcool et de drogue, confirmant la thèse de la police mauritanienne, alors que la foule qui a accompagné le défunt dans sa dernière demeure est restée sceptique.

Enfin, la mort à la Brigade de gendarmerie de Kaédi suite au scrutin du 30 juin 2024, de trois jeunes manifestants n’a donné lieu à aucune autopsie ou enquête.

Quelles versions des faits retenir

Ainsi, l’affaire de Ibrahim Bâ semble avoir été clôturée du moins officiellement par le dernier communiqué de la DGSN. Selon ce dernier, Ibrahim Bâ n’est pas l’auteur de l’écrit qui a indigné les Mauritaniens et une grande partie de l’opinion internationale. L’opinion attend, pour que le communiqué de la DGSN puisse garder toute sa crédibilité, que l’auteur présumé de cet écrit « mensonger et calomniateur » puisse être divulgué. Sinon, l’opinion publique risque de penser à un arrangement à l’amiable entre membres du même système pour ne pas ternir l’image du pays.

Cheikh Aïdara