Les décombres du Cinéma El Mouna réveillent des souvenirs dans la mémoire des anciens Nouakchottois
Cinéma El Mouna
- Publié par Aidara cheikh --
- Wednesday, 16 Jul, 2025

La tristesse a envahi des milliers d’ancien Nouakchottois face aux décombres du temple du cinéma mauritanien, El Mouna, inauguré en 1966. Chaque brique démolie sous les dents des bulldozers en ce début du mois de juillet 2025 est un piquet planté dans la mémoire collective de tous ceux qui ont passé leur enfance devant les affiches de ce monument cinématographique. Nous vous livrons ci-après quelques hommages rendus par d’anciens fils de Nouakchott.
Moussa Khaïry, entrepreneur mauritanien dans le domaine de l’optique, écrit dans ses spleens face au spectacle de la démolition d’El Mouna, ce qui suit.
El Mouna n’est pas qu’un bâtiment, mais une mémoire en pellicule
Il écrit dans ses souvenirs : « El Mouna n’était pas qu’un bâtiment : c’était une mémoire en pellicule, une salle d’attente pour les rêves, une parenthèse de lumière au milieu de la tôle et du sable.
Les Nouakchottois pleurent en noir et blanc aujourd’hui. On pleure Hammam Fall El Melik, ce troubadour au flair d’homme d’affaires, producteur de Tergit et Meïmouna, ce nomade moderne qui avait compris que même un peuple sans forêt a besoin d’un écran pour voir des arbres.
On pleure Mohamed Ould Saleck, l’Allemand de retour, le premier diplômé du cinéma, ce fou génial qui croyait que les bobines pouvaient changer des vies, ou au moins des soirs. Ils sont morts jeunes — 1978, 1979 — et avec eux, la promesse d’un septième art enraciné en sable.
Mais la pierre du cinéma, elle, était restée. Comme un phare éteint qu’on continuait de saluer. Et nous, enfants du chahut, on passait devant ce monument avec respect, avec gêne, avec des souvenirs qu’on n’a jamais vraiment vécus.
Il cite Jeshman l’opérateur d’El Mina, et ses autres collègues, les réparateurs Sidi et N’Diaye.
Une anecdote autour d’El Mouna
Echriv Echriv rapporte, dans ses souvenirs du mythique cinéma, l’anecdote suivante : « Sous l’immeuble Afarco, autrefois, on vendait les photos des stars indiennes comme on vend aujourd’hui des forfaits téléphoniques. Des sourires figés. Des regards trop maquillés. Des vies impossibles qu’on achetait à 10 ouguiyas la photo.
Et puis il y a cette scène, tellement Nouakchottoise, qu’elle mérite d’être gravée dans le marbre cassé de la façade effondrée. Un citadin grand rêveur, avait regardé un film. Le premier de sa vie.
À l’entracte, il sort fumer. A son retour, le gardien lui dit : « Tu n’étais pas là. »
Lui, scandalisé : « Mais j’étais juste dehors ! » Le gardien, soupçonneux : « Raconte-moi le film. »
Le bonhomme, véritable virtuose des pistes de danse des années 1970, terrorisé, a dû résumer 45 minutes de romance bollywoodienne pour pouvoir assister à la suite.
Ce jour-là, il a compris que l’art, en Mauritanie, s’obtient à l’examen oral.Aujourd’hui, ce théâtre de nos rires et de nos oublis est tombé.Pas seulement le bâtiment : le dernier pan de rêve collectif, l’idée qu’un jour, on regarderait un film mauritanien assis dans une salle climatisée, avec du popcorn et des rêves à rallonge.
Le cinéma est mort une deuxième fois. La première fois, c’était la pellicule. Aujourd’hui, c’est la pierre.
Et pourtant…Quelque part dans le vent de Nouakchott, un projecteur s’allume encore. Et dans le cœur de ceux qui ont un jour menti au gardien, le film continue.
« Pour nous générations de Nouakchottois, c’était un lieu de rencontre, de découverte, d’évasion., d’exil temporaire et de retrouvailles irremplaçables »
Pour l’ancien président de la Cour Suprême, Seyid Ghaïlani, « On se pressait au cinéma El Mouna, pour voir les classiques arabes, africains, européens, et surtout hindous et westerns américains dans une ambiance populaire euphorique, vivante et attirante.
Les parfums Dakoume et brillantine, les rires avant les lancements, les narrations des paroles d’acteurs, des faits et des actes après les films faites en cercles, le soir par les gamins du quartier étaient des événements inoubliables.
Tout cela formait une mémoire collective. La nouvelle de la démolition de ce lieu emblématique rapporté aujourd’hui par ADDAHI est perçue comme un arrachement brutal, un effacement d’une part précieuse de l’histoire culturelle de notre chère et mémorable ville… »