Expulsions d’étrangers de la Mauritanie, les capitales ouest-africaines se fâchent contre Nouakchott

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De Dakar à Bamako et de Conakry à Banjul, l’indignation monte auprès des autorités ouest-africaines face aux masses d’expulsions de leurs ressortissants de la Mauritanie, tandis que Nouakchott plaide pour son respect des droits humains, des conventions internationales et des accords régionaux sur le traitement de la migration non régulière. Seulement, les abus de la police mauritanienne dans les conditions d’expulsion sont largement dénoncés.

Depuis plus d’une semaine, la Mauritanie a engagé une véritable opération coup de poing contre les ressortissants ouest-africains vivant en Mauritanie. Des milliers de Maliens, Sénégalais, Guinéens et autres ressortissants de la sous-régions sont arrêtés, parqués puis conduits aux frontières. Plus d’un millier de Maliens auraient été exfiltrés, selon leurs autorités, au niveau des points d’entrée à Gogui Zamal et à Kayes.

Bamako se dit indigné

Mercredi 26 mars 2025, le ministre des Maliens établis à l’Extérieur et de l’Intégration africaine, Moussa Ag Attaher a animé une conférence de presse au cours de laquelle il a dénoncé l’arrestation et l’expulsions de Maliens de la Mauritanie. Il a assuré que le gouvernement assure leur protection et qu’il est prêt à les accompagner. Il s’est rendu à Kayes pour rencontrer les autres expulsés. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de Bamako d’exprimer son indignation face à ce qu’il considère être des « violences subies par nos ressortissants expulsés par la Mauritanie ». Il parle même de conditions d’arrestation contraires aux droits humains. Des échanges seraient engagés avec les autorités mauritaniennes pour préserver « les liens historiques solides entre les deux pays » selon un communiqué publié par le gouvernement malien.

Ainsi, une délégation malienne composée du Ministre des Affaires étrangères, le Ministre des Maliens à l’Extérieur et le Ministre directeur de l’Agence nationale de la sûreté de l’Etat se sont rendus jeudi 27 mars 2025 à Nouakchott pour résoudre la question de résidence de leurs ressortissants en Mauritanie. Ils étaient porteurs d’un message du Président Assoumi Goïta à son homologue Mohamed Cheikh Ghazouani.

Le message comportait un appel à préserver les relations d’amitié et de fraternité qui existent depuis longtemps entre les deux pays. La société civile et la presse malienne ont ainsi engagé une véritable campagne de contestation hostile à Nouakchott, provoquant au début des opérations d’expulsion, des exactions contre des commerçants mauritaniens établis à Bamako et dans d’autres régions maliennes. La question de la communauté mauritanienne au Mali sera ainsi longtemps préservée tant que la réciproque sera assurée, selon Bamako. Abdoulaye Diop, ministre malien des Affaires étrangère a reconnu cependant que la Mauritanie « a le droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger ses citoyens ». Il a déclaré avoir reçu auprès du président mauritanien l’assurance que la Mauritanie continuera à accueillir les Maliens dans son pays et que toutes les facilités leur seront accordés pour la régularisation de leur situation.

Conakry demande des comptes

La Guinée n’est pas restée inerte face aux expulsions de leurs ressortissants en Mauritanie. Le ministre guinéen des Affaires Etrangères a ainsi convoqué le Chargé d’Affaires de l’ambassade de Mauritanie basé à Dakar. Entre Mohamed Lehbib et Morissanda Kouyaté, la détresse des citoyens guinéens en Mauritanie a été au centre des discussions entre les deux hommes. Le Directeur général des Guinéens établis à l’Etranger, Mamadou Saitiou Barry a déclaré que le gouvernement a déclaré que la situation doit rapidement être gérée dans l’intérêt des deux pays. Et de rappeler que le 10 mars dernier, le Chef de la diplomatie mauritanienne était venu à Conakry et qu’il avait soutenu qu’une « solution avait été trouvée ». Seulement, les organes de presse guinéenne trouvent que la solution évoquée n’avait pas réglé la situation à 100%.

Parmi les problèmes évoqués, la difficulté des Guinéens à obtenir un visa d’entrée via la plateforme mise en service par la Mauritanie et qui constitue la seule voie d’accès pour obtenir ce sésame. Le Chargé d’Affaire, Mohamed Lehbib a reconnu que la difficulté de remplir le formulaire via la plateforme « e-visa » est posé à tout le monde, mais que des solutions sont déployées pour lever l’obstacle.

La Gambie réagit

Dans la même foulée, la Gambie a réagi à l’expulsion de ses ressortissants de Mauritanie. Le gouvernement de Banjul avait annoncé l’envoi d’émissaires à Nouakchott pour renforcer la protection de ses ressortissants, assurant suivre avec le plus grand intérêt et la plus grande préoccupation la situation des Gambiens vivant en Mauritanie. Finalement, le Ministre des Affaires Etrangères de la Gambie s’est rendu jeudi 28 mars dernier à Nouakchott porteur d’un message du président Adama Barrow à son homologue Mohamed Cheikh Ghazouani. Instruction a été donnée à l’ambassade de Gambie en Mauritanie d’intensifier les opérations d’inscription des ressortissants gambiens vivant sur le sol mauritanien pour faciliter les procédures administratives.

Yassine Fall était à Nouakchott

Le Sénégal, parce que plus proche, a été le premier pays à réagir aux expulsions massives de ses ressortissants de Mauritanie. Le gouvernement sénégalais sous la pression de la rue, a dû dépêcher dare-dare, dès le 17 mars 2025, la Ministre des Affaires Etrangères, Yassine Fall à Nouakchott, porteuse d’un message du président Diomaye Fall à son homologue Mohamed Cheikh Ghazouani. Il fut question des relations séculaires liant les deux pays, la nécessité de consolider ses liens et de les renforcer. En retour, les autorités mauritaniennes avaient promu d’alléger l’obtention des papiers de résidence aux Sénégalais établis dans le pays.

Des rumeurs de maltraitance

Les étrangers expulsés de Mauritanie dénoncent des abus et des maltraitance commis à leur égard, tout au long du processus d’expulsion, notamment au moment de leur arrestation et des conditions de détention durant les instants précédant leurs conduites aux frontières. Ces témoignages transmis à leur opinion publique ont servi d’alimentation à leurs médias publics, qui devaient servir de tremplin pour leur société civile, provoquant des humeurs fortes et des tentatives de vengeance sur les ressortissants mauritaniens vivant dans leur pays.

Les réseaux sociaux ainsi qu’une partie de la presse mauritanienne et des OSC des droits de l’homme locales sont également montés aux créneaux pour dénoncer les conditions d’expulsion des étranger ouest-africains de la Mauritanie. Des extorsions de fonds commis par certains policiers envers des étrangers ont été rapportés, ce qui a entraîné une vague d’indignations de la part de citoyens mauritaniens. Ils ont appelé les autorités à sévir contre ces policiers véreux qui ont profité de l’occasion pour dépouiller des étrangers, même certains en situation régulière.

Les autorités mauritaniennes démentent

Le Ministre porte-parole du gouvernement, le Ministre des Affaires Etrangères ainsi que le Ministre de l’Intérieur et autres responsables du gouvernement mauritanien ont multiplié les sorties pour démentir tout mauvais traitement infligé aux étrangers en situation irrégulière lors de leur expulsion du pays. Interpellé sur la situation, Housseine Ould Meddou, Porte-parole du gouvernement, a déclaré lors de la conférence hebdomadaire du gouvernement, le 26 mars 2025, que les « opérations d’expulsion des migrants irréguliers se déroulent dans le respect des obligations internationales et des accords bilatéraux en matière de migration, contrairement à ce que rapportent certains médias et les réseaux sociaux ».

Selon lui, la Mauritanie a toujours fait preuve de compréhension en instaurant des mesures incitatives et des facilitations administratives pour régulariser la situation des migrants, particulièrement ceux en provenance des pays frères, comme le Sénégal, le Mali ou la Côte d’Ivoire. Il a souligné que les opérations d’expulsion n’ont visé que les migrants en situation irrégulière et en particulier à démanteler les réseaux de migration clandestine, dans le strict respect des procédures légales.

Dans un entretien avec TV5 Monde, jeudi 28 mars 2025, Mohamed Salem Ould Merzough, Ministre mauritanien des Affaires Etrangères a déclaré que tout le monde est d’accord qu’il est de la responsabilité de tous de faire en sorte qu’on puisse réguler les flux migratoires et surtout d’assécher les sources qui sont à l’origine de la prolifération des réseaux de trafic de personnes. Selon lui, cette responsabilité n’est pas du seul ressort de la Mauritanie.
 

Cheikh Aïdara