
Dans la mémoire des Mauritaniens, le nom de Maaouiya Ould Sidi Ahmed Taya évoque immanquablement le sang, le fer et la corruption. Il a gouverné le pays de 1984 à 2005 — deux décennies de pouvoir absolu, durant lesquelles il a transformé la Mauritanie en une ferme personnelle gérée par les services secrets, le clientélisme et les allégeances tribales, et gouvernée par la peur, la répression et l’exclusion.●
Ehniques… une plaie jamais refermée
À la fin des an
Épurationsnées 1980 et au début des années 1990, la Mauritanie a connu l’une des pages les plus sombres de son histoire : les campagnes d’épuration ethnique visant certaines composantes négro-mauritaniennes de l’armée et de l’administration.
Des centaines d’officiers et de soldats furent exécutés ou portés disparus, tandis que des milliers de familles furent déportées de force vers le Sénégal et le Mali, accusées de “manque de loyauté”.
Cette période, selon de nombreux témoins et historiens, n’était pas une série de dérapages, mais une politique d’État délibérée.
Pendant que des mères pleuraient leurs fils dans les villages frontaliers, le régime célébrait la “fête de l’unité nationale” et diffusait des hymnes glorifiant “le chef suprême”.
La corruption structurelle… quand l’État devient une entreprise familiale
Le régime de Ould Taya est connu pour avoir instauré les fondations d’une corruption systémique en Mauritanie.
Des projets de développement fictifs, des marchés publics truqués, des nominations fondées sur l’appartenance tribale — tout était à vendre : les postes, les contrats, même la justice.
Une poignée de proches du pouvoir détourna les ressources nationales à leur profit, tandis que la majorité du peuple vivait dans la misère.
Les écoles s’effondraient, les hôpitaux devenaient des mouroirs, et les mines étaient pillées sous couvert de “coopération économique”.
Sous Ould Taya, la corruption n’était pas un phénomène : c’était un mode de gouvernance.
La normalisation… une trahison politique et morale
En 1999, Ould Taya commet une faute historique dans les annales arabes et africaines : il ouvre une ambassade de l’État sioniste à Nouakchott.
La normalisation n’était pas alors une simple position diplomatique, mais une trahison profonde envers la conscience mauritanienne, traditionnellement solidaire des causes de libération, notamment celle de la Palestine.
La capitale devint un terrain d’action pour le Mossad, et les documents ultérieurs ont révélé l’étendue de la coopération sécuritaire entre les deux régimes.
Il a profané la terre des résistants anti-coloniaux pour l’offrir, sur un plateau d’argent, à l’ennemi sioniste — en échange d’une approbation américano-israélienne qui ne le sauva pas de la chute.
L’État de la peur… quand les services secrets dictaient la politique
Pour Ould Taya, chaque citoyen était un ennemi potentiel.
Les services de sécurité dominaient la Constitution, et les rapports des renseignements précédaient les décisions ministérielles.
Chaque parole était surveillée, chaque réunion infiltrée — le pays tout entier se transforma en une vaste prison régie par le silence et la peur.
La presse fut criminalisée, les syndicats réprimés, et l’opposition minée par des divisions savamment orchestrées.
La chute… la fin du culte du chef
Le 3 août 2005, alors que le “chef indispensable” assistait aux funérailles du roi Fahd en Arabie saoudite, son régime s’effondra sous un coup d’État sans effusion de sang.
Le peuple ne sortit pas pour le défendre ; au contraire, il exulta de joie, révélant la profondeur du rejet populaire envers ses deux décennies de règne.
Ould Taya s’exila, mais son héritage demeure : les dossiers de corruption, de normalisation et d’épuration ethnique restent des blessures ouvertes dans le corps de la nation, qui réclament une véritable justice transitionnelle — et non l’oubli.
Conclusion
Maaouiya Ould Taya a laissé derrière lui un pays fragmenté, un peuple meurtri et un État défiguré dans ses valeurs.
Et quelles que soient les tentatives de réhabilitation de cette période, la mémoire des peuples ne s’achète pas.
Entre les prisons secrètes et les accords de normalisation, s’est écrite l’une des pages les plus tragiques de notre histoire contemporaine…
Mais elle demeure aussi un rappel éternel : le silence face à l’injustice engendre la tyrannie.
Par : Mohamed Abderahmane Ould Abdallah
Journaliste – Nouakchott