Tension à Bamako : la police bloque un sit-in contre les expulsions de Maliens de Mauritanie
Le refoulement des étrangers de Mauritanie et ses réflexions
- Publié par Aidara cheikh --
- Thursday, 13 Mar, 2025

Un rassemblement de protestation prévu ce lundi devant l’ambassade de Mauritanie à Bamako a été fermement empêché par les forces de l’ordre.
Ce sit-in, organisé en réponse aux expulsions massives de ressortissants maliens vivant en Mauritanie, n’a pu se tenir, témoignant de la sensibilité croissante autour de cette crise migratoire. Ces derniers jours, des centaines de Maliens, mais aussi des citoyens guinéens, sénégalais et ivoiriens, ont été interpellés en Mauritanie.
Considérés en situation irrégulière, ils ont été placés dans un centre de rétention à Nouakchott, prélude à leur expulsion. Les autorités mauritaniennes justifient ces mesures par une volonté de lutter contre l’immigration clandestine et le trafic de migrants, une justification qui suscite la controverse.
Face à l’ampleur de ces expulsions, plusieurs mouvements et associations de défense des migrants avaient appelé à un sit-in de protestation. Le rassemblement devait se tenir ce lundi 10 mars 2025, dès 9 heures, devant la représentation diplomatique mauritanienne à Bamako.
L’objectif était clair : dénoncer ce qu’ils considèrent comme des “abus et mauvais traitements” infligés aux Maliens en Mauritanie, et exiger une réaction urgente des autorités, tant mauritaniennes que maliennes, pour protéger les migrants.
Cependant, la réponse des autorités maliennes a été rapide et dissuasive. Un important dispositif sécuritaire a été déployé dès dimanche soir autour de l’ambassade, selon des témoins sur place. Ce lundi matin, gendarmes, policiers et membres de la garde nationale ont quadrillé le secteur, empêchant tout regroupement et filtrant strictement les accès à la représentation diplomatique. Seul le personnel autorisé a été autorisé à pénétrer dans l’enceinte.
En parallèle, le gouvernement malien a opté pour la voie diplomatique. Le ministre des Maliens établis à l’extérieur et de l’intégration africaine s’est rendu en urgence à Nouakchott pour “évaluer la situation” et apporter une “aide financière et matérielle d’urgence” aux migrants en vue de leur rapatriement, indique un communiqué officiel.
Dans ce même communiqué, le ministre Mossa Ag Attaher a tenu à rappeler la solidité des relations historiques entre le Mali et la Mauritanie, fondées sur “l’amitié et la fraternité”. Il a souligné que les populations des deux pays ont “toujours cohabité en parfaite harmonie”, un message qui vise à apaiser les tensions et privilégier le dialogue bilatéral face à cette crise migratoire.
Gestion de la migration illégale : Ne pas jouer avec le feu !
Les autorités mauritaniennes ont entrepris depuis quelques jours une campagne d’expulsion de migrants illégaux, notamment des Sénégalais, des Maliens, des Guinéens et de Gambiens. Une opération qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine vers l’Europe, via la Mauritanie, où des réseaux de passeurs auraient pignon sur rue.
Dans le fond, rien de plus normal : un pays a le droit – et même le devoir – de contrôler l’entrée et l’établissement des étrangers sur son territoire, encore plus si ces étrangers sont susceptibles de commettre des actes illégaux, notamment en voulant se rendre en Europe de manière clandestine.
Ce qu’on peut déplorer, par contre, c’est la méthode. Certains agents des forces de l’ordre, avec le zèle qui peut les caractériser, ce sont adonnés à des actes qui n’honorent pas leur métier, qui est d’assurer la sécurité des citoyens et des étrangers vivant parmi nous.
Au contraire, profitant de la situation, certains étrangers en passe d’être expulsés, se sont vus dépouillés de tous leurs biens : argent, téléphones, objets de valeurs… avant d’être parqués comme des animaux dans des endroits qui ressemblent plus à des porcheries qu’à des «Centres de rétention pour migrants».
Il n’en fallait pas plus – les réseaux sociaux aidant – pour que les populations des pays concernés réagissent et exigent un traitement humain de leurs congénères ; certains appelant même à la réciprocité, mettant en danger la quiétude des nombreux ressortissants mauritaniens en Afrique de l’Ouest. De leur côté, les autorités des pays concernés ont dépêché des missions diplomatiques pour tenter de trouver une issue à cette situation.
En sachant que les évènements de 1989 avaient débuté par des incidents plus ou moins similaires, quelles peuvent être les conséquences d’une telle situation si la Mauritanie persiste à traiter ainsi les ressortissants des pays voisins ? Quelles sont les mesures d’apaisement qui doivent être entreprises pour désamorcer la tension ?
Tensions à la frontière avec le Mali
Déjà, le passage entre la Mauritanie et le Mali via le point de passage de Gougui Zamal, qui est le principal point de transit pour les transports terrestres et le fret entre les deux pays, a été interrompu après les événements survenus dans la région samedi. En effet, selon plusieurs sources, environ 50 bus se trouvent du côté mauritanien, attendant de traverser vers le territoire malien, tandis qu’il y a entre 20 et 30 bus du côté malien, qui se dirigeaient vers la Mauritanie.
Samedi dernier, un groupe de migrants maliens a pénétré un point de contrôle de la police mauritanienne près du poste-frontière situé dans la région de l’Hodh El Gharbi, et a mis le feu à un abri que la police utilisait comme point de contrôle, a saisi des téléphones des policiers et a scandé des slogans, affirmant que les autorités mauritaniennes avaient saisi certains de leurs biens et ne les leur avaient pas rendus.
Des éléments de la gendarmerie nationale mauritanienne sont intervenus pour maîtriser la situation et contribuer à contrôler les manifestations. Même si l’ambassadeur de la Mauritanie au Mali, M. Cheikhna Ould Nenni a affirmé que «la situation est en voie de règlement», ces incidents démontrent la volatilité de la situation qui doit être gérée de manière à éviter un embrasement plus général.
Conséquences possibles
L’expulsion brutale des migrants illégaux, surtout si elle est perçue comme une violation des droits humains, risque de détériorer les relations diplomatiques entre la Mauritanie et les pays d’origine de ces migrants. La communauté internationale pourrait également dénoncer ces actions, ce qui pourrait nuire à l’image de la Mauritanie.
Les réseaux sociaux jouent un rôle majeur aujourd’hui dans la diffusion de l’information. Des témoignages sur des abus ou des traitements inhumains peuvent enflammer les passions et inciter les populations concernées à prendre des mesures de réciprocité, ce qui pourrait entraîner une série de représailles et créer une spirale de violence.
Des tensions exacerbées pourraient donner lieu à des violences intercommunautaires, en particulier si des ressortissants mauritaniens sont pris pour cibles dans les pays voisins.
De plus, une rupture dans les relations pourrait affecter la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et d’autres enjeux régionaux cruciaux. Les relations économiques entre la Mauritanie et ses voisins pourraient également souffrir, notamment dans des secteurs tels que le commerce transfrontalier et les investissements.
Mesures d’apaisement nécessaires
Il est important que la Mauritanie adopte des mécanismes transparents et respectueux des droits humains pour traiter les migrants illégaux, en offrant des alternatives à l’expulsion brutale. Un processus de régularisation, avec des délais raisonnables pour que les migrants puissent sortir du pays de manière organisée, serait préférable.
La Mauritanie doit engager des discussions directes avec les pays concernés, en particulier le Sénégal, le Mali, la Guinée et la Gambie. Les gouvernements de ces pays devraient être consultés pour trouver une solution concertée qui respecte la souveraineté de chaque État tout en garantissant la protection des droits des migrants.
Les autorités mauritaniennes doivent veiller à ce que les migrants expulsés soient traités avec dignité, en veillant à la sécurité de leurs biens et à leur bien-être dans les centres de rétention. L’isolement des migrants dans des conditions dégradantes pourrait amplifier les tensions et donner un argument aux critiques.
La Mauritanie pourrait aussi lancer une campagne de sensibilisation auprès de ses citoyens et des ressortissants des pays voisins sur l’importance du respect des droits humains et de la coopération régionale. Une telle initiative permettrait de diminuer les tensions sur le terrain et de renforcer la compréhension mutuelle.
Pour éviter d’envenimer la situation, des compensations ou des réparations pour les victimes d’abus pourraient être envisagées. Ces mesures symboliques permettraient de montrer l’engagement de la Mauritanie à restaurer les relations de bon voisinage.
En cas de tensions importantes, la Mauritanie pourrait faire appel à des médiateurs internationaux ou des organisations comme l’ONU ou l’Union africaine pour faciliter les négociations et éviter que la situation ne dégénère.
Cette situation, en effet, peut avoir de lourdes conséquences si elle n’est pas gérée avec une attention particulière à la diplomatie et aux droits humains. Les événements de 1989, marqués par des expulsions massives de ressortissants sénégalais et la déportation de dizaines de milliers de Mauritaniens, avaient eu des répercussions durables sur les relations entre la Mauritanie et ses voisins et sur la cohésion nationale en Mauritanie.
Le contexte actuel pourrait potentiellement raviver des tensions, voire exacerber des conflits, si des mesures adéquates ne sont pas prises rapidement. Il est impératif donc que la Mauritanie prenne conscience de la gravité de la situation et fasse un effort sincère pour résoudre cette crise de manière diplomatique et humanitaire. En agissant avec prudence et en mettant en œuvre des mesures d’apaisement, il est possible d’éviter que la situation ne se transforme en un conflit régional plus large.
Le Sénégal s'indigne des expulsions de migrants et de ressortissants du pays par la Mauritanie
Les autorités sénégalaises sont inquiètes et elles s’indignent face aux conditions dans lesquelles ses ressortissants migrants ont été expulsés de la Mauritanie voisine ces derniers jours. C’est ce qui ressort d’un rapport parlementaire et de déclarations, hier, de la ministre des Affaires étrangères, Yacine Fall, lors d’une plénière de l’Assemblée nationale.
Interpellée sur le sujet par plusieurs députés, la ministre des Affaires étrangères a dit « regretter les conditions d’arrestations et d’expulsions des Sénégalais depuis la Mauritanie ces derniers jours ». « Bien sûr, chaque pays a ses lois », a déclaré Yacine Fall à la presse, mais on doit respecter les droits des personnes et « ne pas maltraiter comme on l’a vu récemment », a-t-elle dit.
La ministre avait évoqué devant une commission parlementaire des « traitements inhumains subis par les personnes arrêtés et rapatriées » depuis la Mauritanie.
« Des discussions avec les autorités Mauritaniennes sont en cours », à ce sujet, a également affirmé la cheffe de la diplomatie sénégalaise. Se voulant rassurante, Yacine Fall a assuré que d’ici la fin du mois de mars les choses allaient s’améliorer avec la promesse de la Mauritanie de transmettre au Sénégal, les modalités d’obtention du titre de séjour et de la carte de résidence pour les Sénégalais.
Les ONG inquiètes
L’inquiétude reste forte néanmoins chez des acteurs locaux et des ONG, qui dénoncent une vaste campagne, selon elles, d'arrestations et de refoulements de personnes migrantes en situation irrégulière dans ce pays.
Des refoulements tous azimuts à destination des subsahariens, sans prendre le temps de vérifier si les personnes ont des titres de séjour ou non, selon l’Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH). 700 personnes sur 1 200 refoulées depuis le début du mois avaient un titre de séjour, selon la présidente de l’AMDH Fatimata Mbaye.
Au Sénégal, les autorités locales confirment qu’au poste frontière de Rosso, depuis 10 jours, 30 à 40 subsahariens sont refoulés quotidiennement, 80% sont des sénégalais, à encore sans forcément vérifier si ces personnes ont des titres de séjour en règle. Les ONGS confirment également des cas de rafle à et de mauvais traitements en détention de la part des autorités mauritaniennes.
Mauritanie: «Notre politique vis-à-vis de la migration irrégulière est restée la même»
Les migrants sénégalais qui essaient de passer par la Mauritanie pour gagner l'Europe, suscitent de la tension entre Dakar et Nouakchott. Depuis quelques semaines, les autorités mauritaniennes arrêtent un grand nombre d'entre eux en vue de les refouler au Sénégal.
Mais hier soir, le gouvernement sénégalais s'est dit « indigné » par le traitement réservé à ses ressortissants. Hier matin, nous avions contacté le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Merzoug.
Et au micro de Christophe Boisbouvier, il démentait tout mauvais traitement à l'égard des migrants venus du Sénégal ou du Mali.
RFI : Des centaines d'arrestations et d'expulsions de migrants illégaux sont signalées en Mauritanie depuis quelques jours. Est-ce que votre gouvernement a décidé de durcir sa politique à l'égard de ces migrants ?
Mohamed Salem Ould Merzoug : Non, il n'y a pas eu de mesures particulières qui ont été enclenchées. Notre politique vis-à-vis de la migration irrégulière est restée la même : c'est d'être très ferme par rapport aux réseaux de migrants irréguliers en particulier. Surtout que, au cours des dernières semaines, c'est ce qui a probablement donné un peu d'ampleur à ça, c'est que nos forces de défense et de sécurité ont démantelé quatre réseaux de migrants illégaux qui étaient dirigés par à la fois des Mauritaniens et des étrangers aussi. Et ce qu'on oublie, c'est que la route atlantique, c'est une succession de tragédies malheureusement, et c'est ça qu'il faut donc arrêter.
Parmi les postes frontières où sont refoulés ces migrants, il y a celui de Gogui, à la frontière entre la Mauritanie et le Mali. Et le 8 mars dernier, des affrontements auraient opposé ces migrants en cours d'expulsion avec les forces de l'ordre mauritaniennes. Qu'est-ce qui s'est passé exactement ?
Je vous ai dit que ces migrants ont été encadrés, dirigés par des réseaux. Donc je crois qu’être encadré dans cet environnement-là pousse en effet certain de ces migrants à s'en prendre à nos forces de l'ordre qui ripostent. Mais ce sont des événements marginaux. Et donc le problème auquel le gouvernement essaie de répondre est de ne pas laisser le territoire de notre pays servir de passage pour des milliers de jeunes qui risquent leur vie dans des conditions extrêmement dangereuses.
Que répondez-vous aux organisations humanitaires qui affirment que les migrants arrêtés puis expulsés sont maltraités par les forces de l'ordre mauritaniennes ?
Toute organisation qui défend les droits de l'homme est une organisation en principe respectable. Mais je veux leur répondre qu’elles sont en train de diffuser des contre-vérités. D'abord, je voudrais dire que nos forces, leur mission principale est de sécuriser le territoire et les populations de ce pays. Et par rapport à cette mission principale, elles le font dans le respect de toutes les conventions qui protègent les droits de la personne humaine, qui ont été ratifiées par notre pays.
Il y a tout juste un an, le 7 mars 2024, votre gouvernement a signé un mémorandum avec l'Union européenne pour lutter contre l'immigration illégale, avec plus de 200 millions d'euros à la clé. Que répondez-vous à ceux qui disent que les autorités mauritaniennes n'ont pas à agir comme les gardes-frontières de l'Europe ?
Non, nous ne sommes pas les gardes-frontières de l'Europe et nous ne serons les gardes-frontières de personne. Et je pense que, sans blesser personne, nous sommes le seul pays qui, depuis toujours, a été très jaloux du respect de sa souveraineté. Et la base sur laquelle se fonde notre coopération dans ce domaine précis, c'est d'essayer de faire en sorte que les pays d'origine, les pays de transit et les pays de destination puissent se coordonner, parce que c'est en coordonnant qu'on peut endiguer ce phénomène massif. Et que la Mauritanie ou que le Sénégal ou l'un des pays africains coordonne avec l'Europe ou avec les États-Unis, ou la Chine ou la Russie, sur ces questions-là, quoi de plus normal ? C'est dans cet esprit-là qu'il faut voir ce mémorandum qui a été signé en mars 2024 entre l'Union européenne et notre pays. Donc, nous ne servirons ni de base arrière, ni de base militaire, ni de gardes-côtes pour un quelconque pays. Avec tout le respect qu'on peut avoir pour l'ensemble de nos partenaires.
Au retour d'une tournée à Bamako, à Niamey, à Ouagadougou, le président du Ghana, John Dramani Mahama, appelle la Cédéao à reconnaître la nouvelle AES [Alliance des États du Sahel]. Qu'en est-il pour la Mauritanie ?
La position de notre pays est claire et elle est constante aussi. C'est le respect de la souveraineté de chaque État. Ce n'est donc pas à la Mauritanie de commenter cette tournée, même si tout ce qui peut consolider l'unité africaine, l'intégration au niveau régional, la paix entre les voisins et puis assainir l'environnement au niveau de la Cédéao nous importe. Mais on n'a pas de jugement à porter sur ce que peut faire le président du Ghana ou ce que peuvent décider les États membres de l'Alliance des États du Sahel.