Birame Dah Abeid à la tribune de Genève : droits des peuples, paix et justice transitionnelle
Discours de Birame Dah Abeid à Genève le 27 novembre 2025
- Publié par Aidara cheikh --
- Thursday, 27 Nov, 2025
Birame Dah Abeid, président de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), a fustigé la situation politique, économique et sociale en Mauritanie. C’était lors de son discours du haut de la tribune de Genève où se déroule le Forum des droits des minorités en parallèle avec la rencontre annuelle de l’Union des Peuples Non-Représentés (UNPO). Des rencontres qui se tiennent sous l’égide des Nations Unies, Nous vous livrons ci-dessous l’intégralité de son discours.

« Placer les droits des peuples au cœur de la consolidation de la paix et de la justice transitionnelle »
Madame la Présidente,
Honorables participants,
Je vous remercie et salue cette auguste assemblée.
Il y a quinze ans, j’étais venu en ces lieux, arpentant les locaux du Haut-Commissariat et du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. J’expliquais alors les dimensions de la crise de cohabitation entre les composantes nationales et culturelles de la Mauritanie. J’insistais sur les difficultés rencontrées par le peuple Haratin, descendant des victimes d’un esclavage séculaire, pour jouir pleinement de la citoyenneté à l’ombre de l’État moderne. Nous avons mené le combat pour y parvenir, guidés par les normes universalistes de l’ONU, prolongées par la non-violence et le respect de la légalité internationale.
Chers collègues,
Mon pays pratique et banalise des discriminations, ainsi que des crimes infligés impunément aux citoyens d’ascendance subsaharienne. Outre le racisme, l’exclusion économique et les restrictions à l’exercice des droits politiques frappant particulièrement les Haratin, une sanction globale touche l’ensemble de la population et suspend sa pleine participation à la démocratie : j’ai nommé la prédation des richesses naturelles et le détournement du bien public, la spoliation des terres arables, la corruption, le tribalisme, le faux et son usage dans la conduite de l’État, ainsi que dans la répartition des fruits de la coopération internationale.
En Mauritanie, les mécanismes d’accaparement préférentiel neutralisent les lois, achètent la conscience des électeurs et maintiennent la majorité de la population sous le joug d’un capital ethniquement monopolistique. Cette forme d’hégémonie, qui ne repose pas systématiquement sur la contrainte, Antonio Gramsci l’a décrite avec clarté dans ses analyses sur la fabrique de l’opinion. Le cas mauritanien ne dément nullement ses observations, si ce n’est que les auteurs et bénéficiaires du statu quo n’hésitent pas, lorsque nécessaire, à emprisonner, torturer, blesser et tuer. Ils justifient toujours leurs abus sous le prétexte de la « restauration de l’ordre ».

Les droits économiques et sociaux de la majorité se réduisent à une économie de survie. Au lieu de progresser, elle stagne, puis recule. Pourtant, l’histoire nous enseigne que lorsque le seuil du supportable est dépassé, la révolte et la guerre, dérivatifs de la frustration, deviennent une possibilité, parfois une urgence. Oui, la mauvaise gouvernance appauvrit les populations, mais surtout, elle les pousse au désespoir, et le désespoir n’enfante pas la paix.
Or, le pouvoir mauritanien, au lieu de pressentir ce risque et d’en prévenir les implications, choisit de persécuter les défenseurs de l’égalité et de la liberté, les qualifiant de « racistes », « violents », « téléguidés par les États noirs voisins, l’Occident, le sionisme ». Il ne s’agit pas d’une dérive ponctuelle mais d’un discours établi, creusant et approfondissant les clivages au sein de la société, afin d’assurer sa propre reproduction par la peur du lendemain.

Ainsi, les ONG de renommée mondiale sont interdites ou diabolisées, tandis que des partis comme le RAG, les FPC, DECKALEM ou le CR se retrouvent exclus de la légalité, donc écartés de la compétition des idées. Une nouvelle loi d’organisation du champ politique consacre désormais le verrouillage de l’offre au profit de formations domestiquées. L’appartenance à la communauté arabo-berbère devient, de facto, un critère principal de reconnaissance par le ministère de l’Intérieur. Les mécontents n’ont qu’à s’y plier.
Moi, Biram Dah Abeid, plusieurs fois primé et distingué par des jurys de probité indiscutable, titulaire de récompenses prestigieuses telles que le Prix des Nations Unies pour la cause des Droits de l’Homme, je suis décrit et traité par le pouvoir comme un ennemi de l’intérieur, un pyromane au service de la franc-maçonnerie et des Juifs. À ses yeux, je ne mériterais que les cachots ou l’exil. Non : j’ai décidé de rester, et les cellules étroites et insalubres me connaissent.
Le 10 décembre prochain, je rentrerai en Mauritanie.
Alors, je vous prie : jugez vous-mêmes de l’accueil qui me sera réservé.
Genève, 27 novembre 2025
