LIGNE DE MIRE L’AUTHENTIQUE : Rôle des Arts dans la libération des adwabas en Mauritanie, une expérience pour les Harratines de R’Kiz

ligne de mire de L'Authentique N° 3168 du 12 février 2024

CHEIKH AIDARA MAGHAMA

De tout temps, les chants, poèmes et danses ont joué un rôle prépondérant dans la prise de conscience et la libération des peuples opprimés, notamment les esclaves. Le Gospel américain a beaucoup aidé les esclaves, après une journée de travail et de fouets dans les plantations du Sud, à exorciser leurs douleurs et pansé leurs blessures de l’âme.

En Mauritanie, cette expérience a servi aux adwabas implantés dans plusieurs régions du pays à se libérer du joug des féodaux qui leur imposaient des dîmes en espèces ou en nature en contrepartie de l’exploitation des terres.  Que cela soit au Tagant, en Assaba, au Brakna ou au Gorgol, l’histoire retient que des adwabas à Ghabra, Moït, Monguel, Mbout, Barkéo, Bourat, entre autres, ont gagné la bataille de la terre à travers une révolution culturelle encore conservée dans les annales.

Ainsi, de rudes empoignades ont opposé dans les années 70-80 des jeunes assoiffés de liberté et de dignité aux féodaux via leurs propres frères et pères de sang acquis à la cause de ses derniers. Il a toujours existé en effet des renégats soudoyés dans les rangs des esclaves ou des semi-affranchis, pour servir de chairs à canons aux féodaux. Des esclaves affrontaient ainsi d’autres esclaves et les féodaux attendaient tranquillement sous leurs tentes pour tirer leurs marrons du feu à l’issue de ses sanglants affrontements.

L’histoire semble se répéter en février 2024, soit 41 années après la Loi 83-127 du 5 juin 1983 portant ordonnance foncière qui stipule que « la terre appartient à celui qui l’exploite » et qui mettait fin à la propriété collective des terres au nom des tribus. Mais cette loi n’a jamais eu de décret d’application et ne fut jamais ainsi appliquée. Car, il reste le seul carcan aux mains des maîtres et des anciens maitres esclaves pour remettre les carcans de la servitude au cou de leur bétail humain. Avec la bénédiction de l’Etat mauritanien. Ce dernier dispose pourtant dans ses arsenaux juridiques des bataillons de textes de loi incriminant l’esclavage, instituant la protection sociale, l’égalité des citoyens, le respect des droits de l’homme. Il a surtout ratifié des conventions internationales pour que tous les citoyens disposent des mêmes droits.

Pour l’instant, le destin des esclaves et anciens esclaves de R’Kiz dépouillés de terres de culture, est entre leurs mains, en l’absence de tout arbitrage positif de la part des pouvoirs publics qui semblent avoir opté pour la force et la répression pour les maintenir sous le joug de la classe esclavagiste et féodale locale. Les chants révolutionnaires et les poèmes galvaniseurs de l’époque doivent leur servir de repère pour utiliser l’art comme expédient à leur libération. Ils auront surtout besoin de l’aide des organisations des droits de l’homme, comme IRA, la seule encore présente sur le terrain, de la même manière que les adwabas s’étaient libérés il y a plus de quarante ans grâce au concours du MND, du PKM et des fils des féodaux.

L’accès à la terre cultivable est non seulement garanti par la Constitution, les lois en vigueur et les conventions internationales ratifiées par la Mauritanie, mais c’est surtout un levier important pour le développement économique et social du pays. Donner accès aux harratines de R’Kiz sur les terres fertiles des abords du lac, est non seulement une action légitime et un levier qui garantit l’autonomisation et le bien-être des populations harratines locales, mais c’est surtout un levier incontournable pour l’autosuffisance alimentaire du pays.  Les en priver, ce qui semble être le souhait des féodaux et de l’Etat qui les protège, empêchera l’autonomie complète des populations harratines et contribuera à les maintenir ad aeternam, dans les carcans de l’esclavage agricole.

Cheikh Aïdara