Mauritanie : Les enjeux de pouvoirs de la « lutte des places » à la classe dominante.

Dans notre pays, l’indépendance a d’abord été marquée par une « lutte des places ». Mais ces places

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   Dans notre pays, l’indépendance a d’abord été marquée par une « lutte des places ». Mais ces places étaient déjà réservées par le colonisateur à ses affidés, tandis que les premières bases militaires étaient implantées au nord. Puis le relais fut passé à l’indépendance.

 

La fondation de la Mauritanie politique que nous connaissons a regroupé divers groupes dans des Congrès (sous la bannière représentative des tribus et des communautés culturelles féodales !) qui ont décidé qu’il fallait bâtir la Mauritanie comme République islamique. L’islam, étant connu comme la seule religion, a été désigné comme le ciment de la nation, le lien qui devait unir cette nouvelle république. Il fallait s’aimer au nom de l’islam, au nom de la religion. Chaque groupe, par la suite, a manifesté un effort dans l’alphabétisation musulmane, dans des conquêtes, et un roman national qui s’est construit au fil du temps. Les courts-métrages et photos de la décolonisation signée sur un papier restent encore marquants.

Puis sont arrivés les militaires. Ce sont ceux-là à qui l’on impute tous les maux. Qui a permis cela ? Cette question reste de l’ordre de la métaphysique… Avec eux, la force s’est centrée autour des décisions politiques. Il s’agissait de « guerres de mouvement et de position », au besoin, par l’usage de la force. Depuis toujours, la force a été l’essentiel du pouvoir politique. Certaines grandes nations ont pu transformer cette force en institutions durables. Mais en Mauritanie, la « lutte des places » s’est muée en « lutte des classes ». Et il fallait qu’émerge une classe dominante.

Cette classe dominante n’était plus un simple conglomérat de tribus, de chefs féodaux ou de leaders culturels. Il s’agissait de la naissance d’une classe qui avait des idéaux, qui s’inspirait d’un monde et qui se devait gérer les équilibres. Une classe militaro-affairiste est alors apparue. Elle s’agrippait à cette classe politique ou s’y intégrait pour en tirer profit, et s’alliait à une classe intellectuelle pour finir par faire chemin avec d’idéologues dont la vision dépassait celle de la Mauritanie islamique traditionnelle. Ils rêvaient d’une République islamique arabe de Mauritanie.

Cette « lutte des classes », singulière et différente de ce que l’on connaît ailleurs, a généré des déviances. Des groupes se surveillaient, se jaugeant en chiens de faïence. Chacun cherchait à être le plus habile, le plus rapide, celui qui prendrait le pouvoir. Plusieurs coups d’État ont été orchestrés. Mais l’idée d’un coup d’Etat en 1987 a été lourdement sanctionnée. Les textes, les écrits, les témoignages sont là. Il ne s’agissait de rien d’autre qu’un message anthropologique : certains groupes ne devaient pas se lever, surtout un groupe bien défini.

Mais au milieu de ces « luttes », la question qui demeure : au fond, qu’est-ce qui a été réellement fait pour l’humain ? Voilà la question réelle.

De prime abord, il est important de considérer l’état actuel du pays comme une gestion des équilibres. Cette gestion pousse à se demander :« qu’est-ce qui fait l’humain ?» Mieux, il est peut-être plus pertinent, pour une nation, de s’interroger sur le rapport du citoyen à la République. Mais aussi sur la manière dont le lien entre le citoyen et l'Etat s’est construit dans l’histoire politique du pays. En ce sens, ce présent écrit s’engage dans un cadre de la construction nationale, de la justice nationale et des mécanismes de justice transnationale, transitionnelle pour une mémoire collective, encore largement absent en Mauritanie.

Des « guerres de mouvement et de position » ont eu lieu dans le pays. Les méthodes et moyens ont changé au fil du temps. Souvent accompagnées d’exactions extrajudiciaires. Le Monde rapportait le 26 mars 1981 : « Quatre des neuf officiers mauritaniens accusés d’avoir participé, le 16 mars dernier, à la tentative de putsch avortée à Nouakchott ont été condamnés à mort (...)... Il s'agit des lieutenants-colonels Ahmed Salem Ould Sidi, ancien membre du Comité militaire de salut national (C.M.S.N.), et Abdel Kader Ould Ba, ancien ministre de l'éducation, considérés tous deux comme les chefs de l'opération, ainsi que de deux lieutenants, Niang  Moustapha et Doudou Seck. Cinq autres officiers ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité. »

En 1987, une idée de coup d’État, simplement envisagée mais jamais mise en œuvre, entraîna l’exécution de trois officiers noirs : Sy Saidou Daouda, Bâ Seydi et Amadou Sarr. L’année suivante, entre 1988 et 1989, environ 60 000 Mauritaniens furent expulsés vers le Sénégal et le Mali, leurs biens confisqués, dans des violences ciblant les populations noires. Entre octobre 1990 et mi-janvier 1991, environ 3 000 militaires noirs furent internés et 500 à 600 exécutés après torture. Ces événements laissent une profonde cicatrice dans le tissu social du pays. En 1993, l’État promulgua la loi d’amnistie n° 93‑23, couvrant les actes commis entre 1989 et 1992, empêchant toute poursuite pénale contre les auteurs. « La paix des cœurs ne se décrète pas », disait l’autre. Il s’agit d’une tentative de faire oublier les injustices et massacres.

Aujourd’hui, la question centrale demeure : comment construire avec un passé violent aussi lourd ?  Rien ne doit contribuer à ancrer dans l’État une culture de déni, d’impunité et de verticalité autoritaire. La priorité est de reconnaître la vérité historique et les exactions passées. Une commission de vérité et de réconciliation pourrait documenter les massacres, les déportations et les persécutions. La justice et la réparation sont essentielles : abroger l’amnistie de 1993 et permettre des sépultures aux victimes et à leurs familles. La question des violences institutionnelles n'est pas l'affaire des victimes seulement. C'est une affaire nationale. 

Pour reconstruire la Mauritanie, il est aussi nécessaire de réformer les institutions afin de garantir une représentation équitable de toutes les communautés, de renforcer la justice et la transparence, et de soutenir l’éducation civique et la mémoire collective. Le développement socio-économique doit permettre de réduire les inégalités et favoriser une participation citoyenne réelle.

L’urgence est de transformer un pays traumatisé par la violence, la discrimination et l’impunité. L’appartenance à la nation ne doit dépendre ni de la tribu, ni de l’ethnie, ni du statut militaire, mais de la citoyenneté et du respect mutuel. La cohésion nationale, la justice et la dignité humaine doivent devenir les fondements de la Mauritanie de demain. Se débarrasser de l'esclavage, de la féodalité qui constituent les injustices structurelles, tout en luttant contre le racisme qui mine l'administration (tous les postes stratégiques dans les mains d'un groupe !), le privé (les marchés gré à gré et le favoritisme social), etc., c'est le seul salut. 

Ce salut, tant attendu par des femmes et hommes, porté par les voix justes et patriotes, exige des instruments concrets et non de simples déclarations d’intention. Les structures en place souffrent d’une absence manifeste d’intérêt pour la vérité et la transparence. 

In fine, il devient donc indispensable de revoir en profondeur les logiques de fonctionnement, les mécanismes institutionnels et l’architecture juridique elle-même. Cette refondation n’a de sens que si la justice peut enfin accomplir son rôle : une justice réellement indépendante, affranchie des pressions de l’exécutif, capable d’agir en toute impartialité et de garantir l’égalité de tous devant la justice.

De ce fait, les questions juridiques, mémorielles, linguistiques et d’équité doivent être les bases d’une Mauritanie véritablement commune. Ainsi, naîtra un nouveau pacte républicain ! Tout ce dont pays a besoin. 

Il faut sauver la Mauritanie. 

 

Souleymane Sidibé

 

Références 

1. Le Monde, « La tentative de putsch de Nouakchott : le chef de l’État rejette le recours en grâce des quatre officiers condamnés à mort », Le Monde, 26 mars 1981.

2. MENA Rights Group, Mauritanie : 30 ans après le massacre d’Inal, retour sur les « années de braise ».

3. MENA Rights Group, Mauritania: Survivors of the  «Passif humanitaire» demand truth and justice, 13 août 2020.

4. Human Rights Watch, Ethnicité, discrimination et autres lignes rouges : répression à l’encontre de défenseurs des droits humains en Mauritanie, 12 février 2018.

5. MENA Rights Group, Passif humanitaire – solder les crimes du passé pour garantir leur non-répétition.

6. Amnesty International, Les droits humains en Afrique – Mauritanie, rapport 2019.