Reportage. Ghana : Voyage au coeur des sombres secrets du camp des sorcières de Gambaga

Le drame de leurs vies : 93 femmes et 4 hommes accusés de sorcellerie et bannis de leurs communautés

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Gambaga, un lieu de refuge à 658 kilomètres de la capitale ghanéenne, Accra. Lundi 2 avril 2023, il a fallu 8 heures de route en voiture pour rallier cette bourgade. Le village se situe dans la région du Nord-Est du Ghana, après Tamalé, précisément dans le district de Mamprusi Est, à 200 kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso. A majorité musulmane, cette localité de plus de 8000 habitants vit au rythme du ramadan. Malgré, les rigueurs du jeûne, ils vaquent fièrement à leurs activités quotidiennes, à notre arrivée à 10 heures. Ils ne semblent même pas remarquer la présence d’étrangers parmi eux.

Comme l’exigent les traditions de la localité, l’équipe de Média Platform On Environment and Climate Change (MPEC) du Ghana se dirige, en premier, au domicile du chef de Gambaga. Cette visite de terrain du programme Minority Rights Group vise à sensibiliser sur les liens entre les problèmes des minorités ou autochtones et les conflits au Ghana, au Sénégal et en Sierra Leone.  «Gambaran Yahaya Wuni ne peut pas vous recevoir actuellement. Il ne sort presque plus sur la place publique», nous indique poliment un des jeunes hommes préposés à la sécurité de la demeure.

Le chef de Gambaga étant indisponible, la délégation met le cap vers sa destination : le camp des sorcières. «Allons-y, le camp est à moins de 5 minutes de marche », nous précise le chef de l’Église Presbytérienne Nord-Est, Révérend Michael Gumah. Cet homme est notre guide pour l’expédition.  

Le camp des sorcières est logé juste derrière le quartier du maître des lieux. Le thermomètre affiche 30°. Malgré la quiétude qui règne dans ce lieu, l'atmosphère est lourde et souffle un vent d’angoisse.

L’image renvoie à un petit village abandonné voire fantôme. Quatre-vingt-neuf cases en banco, d’une hauteur moyenne, sont construites sur le site fondé depuis l’an 1900 par Imam Baba. Incapable de prendre en charge les pensionnaires, ce dernier a fini par transférer la gestion du camp au chef Gambaran Yahaya Wuni. Certaines huttes sont détruites pour une réfection avant la saison des pluies.

De très près, l’espace ressemble à une «prison» où sont parqués et entassés 93 femmes, 4 hommes et 26 enfants. Les personnes âgées de ce camp portent chacune d'elles une histoire dramatique, pleine d’émotions qui les ont condamnées à vivre dans ce village. Elles sont accusées de sorcellerie et bannies de leurs communautés.

 

«Jetée dans un fleuve ou torturée »


C’est la seule et unique grande salle de cette cité de bannis qui sert de lieu d’accueil des hôtes par  les femmes/mères. Bien habillées et disciplinées, elles surfent sur l’ambiance du moment pour oublier leur quotidien de communauté stigmatisée. D’abord un cri d’accueil, puis d’autres s’y invitent pour créer une symphonie dans leur langue locale. « Elles chantent pour souhaiter la bienvenue à leurs visiteurs », explique Sampson Laar, le chef des projets du camp.

Cet «asile»  est bien administré. Il a un bureau composé de sept membres, présidé par Zeynabou Soukouré.  Chacune s’occupe d’une tribu. Elles sont nommées pour régler les probables conflits en interne. Car, elles vivent en parfaite harmonie avec les autres habitants de Gambaga. « Ces femmes sont arrivées ici de leur propre gré. Certaines ont été amenées ici par leurs enfants car elles sont sous le coup de menaces de mort. Elles sont considérées comme des criminelles », ajoute M. Laar.

Parmi elles, une vieille dame. Kuwambio Dogowa, originaire du village Sagbany, dégage une mine triste. Elle a marché pendant deux semaines pour franchir le seuil du camp des sorcières pour sauver sa peau. «On l’a poussée dans un fleuve. Ces bourreaux pensaient qu’elle était morte. Mais elle est parvenue à rejoindre la rive», raconte M. Laar. Il renseigne que Kuwambio est, malheureusement, devenue aveugle à cause de sa mésaventure. Lorsqu’elle est arrivée au camp, elle a été conduite à maintes reprises à l’hôpital afin de retrouver la vue, mais en vain.

Cette souffrance, Wengué Laar l’a vécue. Elle a été cruellement battue et torturée avant d’être envoyée au Togo, pays voisin du Ghana. « Elle est venue ici sous l’autorité du chef de Gambaga et nous l’aidons à prendre soin d’elle. Elle a failli mourir. Elle est traumatisée. Même pour manger ou boire, elle demandait la permission », souligne Sampson Laar.

 

« Le Chef de Gambaga est puissant. Lorsque vous êtes dans le camp, votre pouvoir s’anéantit »


La dame se rappelle des moindres détails de son supplice. La tristesse se lit sur son visage marqué par des rides, stigmates des abominables épreuves endurées: « On m’avait ligotée. On n’a voulu m’égorger. Ils m’ont mise dans un sac après m’avoir déshabillée et rasé mes parties intimes. La raison est qu’il y avait un enfant malade et on m’a accusée de vouloir manger son âme en lui transmettant la maladie. Mais lorsque vous arrivez à Gambaga, vous êtes libres ».

Extérioriser ce genre d’expérience n’est pas chose aisée pour les victimes. Les responsables de ce camp se doivent user de tact s’ils souhaitent que leurs pensionnaires se confient à eux. Sampson parle constamment avec eux pour leur éviter notamment de sombrer dans des extrémités telles que le suicide.  Mieux, ils font parfois recours à des psychologues pour qu’ils leur expliquent que même s’il est vrai que leurs communautés les ont bannis, cela n’est pas une raison pour se donner la mort.

Notre interlocuteur révèle qu’en effet, à Gambaga, le chef a des pouvoirs. « Lorsque vous êtes dans le camp, votre pouvoir s’anéantit. Donc, les pensionnaires peuvent être en relation dans le camp et en dehors du camp ». En toute tranquillité.

Cet air de liberté, Farimata, nom d’emprunt, l’hume depuis 5 ans, la durée de sa présence « dans ce havre de paix ». Elle qui a été frappée par son propre fils. « Il disait que moi sa mère, je suis une sorcière et que je suis la source de tous ses malheurs. Depuis que je suis ici, aucun membre de ma famille n'est venu pour s’enquérir de ma situation alors que je suis diabétique », se plaint-elle avant de retourner s’asseoir, en claudiquant à cause de ses jambes lourdes qui supportent mal son poids corporel.

 

Wuny Gumah, la douleur d’une mère de 6 enfants


Provenant de la zone de Mamprusi,  Wuny Goumah se remémore le jour où sa vie a basculé. Emmitouflée dans un ensemble wax, le foulard de tête bien noué, parée de bijoux en perles, elle manifeste une grande vitalité. Mieux, elle exprime sa souffrance à travers ses chants d’une voix qui capte l’attention. « Je dormais dans ma chambre, à minuit, lorsque mon mari frappait à la porte. Lorsqu’il est entré, il m’a demandé de m'asseoir sur le lit avant de me dire que ma coépouse était malade et que j’en étais à l’origine », raconte-t-elle.

« J'étais confuse parce que mon conjoint venait ainsi de m’accuser d’être une sorcière. Je ne savais pas ce que j’allais faire parce que mes enfants étaient jeunes », glisse-t-elle. Avant de poursuivre : « La communauté avait décidé de me tuer, j'ai fui chez mon frère. La pression existait toujours. Alors je me suis rappelée que quand j’étais jeune fille, j’entendais l’histoire du camp de Gambaga où les sorcières étaient reçues. Je suis arrivée ici et le chef a pris soin de moi ».

Aujourd’hui, Wuny Gumah ne sait pas où se trouvent ses 6 enfants. « Ils se sont dispersés. Un jour, l'un d'entre eux, m'a appelée en me disant qu'il m'aimait et me demandant de rester dans le camp et que dans la mesure où m’a accusée je suis devenue sans importance pour eux. J’ai repris goût à la vie grâce à ce lieu. Si le chef ne nous avait pas acceptées, nous ne serions pas là en ce moment. On allait nous tuer dans la brousse comme des animaux».

Pourtant, des lois sanctionnent les accusations infondées de sorcellerie. Cependant, on tue immédiatement les présumés accusés et leurs bourreaux ne sont pas inquiétés. « Dans le village de Dioussy non loin, une dame a été accusée de sorcellerie et la police n'a rien fait pour la protéger. Des personnes ont attendu la nuit pour brûler sa maison alors qu’elle  dormait à l’intérieur. Elle est décédée et ce crime est resté impuni », se souvient Sampson. « Une fois, un enfant s’était rebellé car on avait dit que sa mère était une sorcière, mais il a été frappé à mort »